La sexualité : témoignage de l’amour vrai

La sexualité est au cœur de notre humanité. Pourtant, jamais notre société n’a semblé si “malade du sexe” : à la fois banalisée à l’extrême et vidée de son sens, elle est tiraillée entre une saturation des réseaux sociaux et une profonde misère affective. Nous vivons une époque de “double divorce” : celui entre la vie et l’amour (une sexualité sans procréation), et celui entre l’amour et le sexe (une sexualité sans engagement).

Face à ce trouble, l’enseignement de l’Église catholique sur la sexualité est souvent perçu comme un ensemble d’interdits d’un autre âge, ou alors encore une liste de “non” qui semble s’opposer à l’épanouissement. “Ne pas faire” avant le mariage, “ne pas” utiliser de contraception, “ne pas” divorcer…

Mais si cette vision était un malentendu ? Si cet ensemble d’interdits n’était en fait que la conséquence d’un “OUI” radical, un “OUI” à la grandeur originelle de l’amour humain ?

C’est la perspective lumineuse que nous offre la Théologie du Corps, enseignée par Saint Jean-Paul II. Elle ne propose pas un code moral, mais une “Bonne Nouvelle” qui libère l’amour de l’égoïsme et de l’utilisation de l’autre. Elle nous invite à redécouvrir que la sexualité n’est pas “sale”, mais sainte, qu’elle n’est pas un simple divertissement, mais un langage corporel puissant, donné par Dieu pour dire la vérité du don.

Dans cet article, je propose d’explorer cette Bonne Nouvelle. Nous commencerons par poser le cadre divin immuable pour la sexualité (le “où”), puis nous plongerons dans le “pourquoi” de ce cadre à travers la Théologie du Corps, avant de traiter des actes concrets qui découlent de cette magnifique vérité.

PARTIE 1 : LE CADRE DIVIN – LE SEUL LIEU DE LA VÉRITÉ DU DON

Avant même de comprendre la beauté de la Théologie du Corps, il est indispensable de poser le cadre révélé par Dieu. Ce cadre n’est pas une suggestion, mais la fondation sur laquelle tout l’édifice de l’amour humain est appelé à se construire.

1.1. Affirmation fondamentale : L’union sexuelle est réservée au mariage

L’enseignement constant et irrévocable de l’Église, fondé sur l’Écriture Sainte et la Tradition, est que l’exercice de la sexualité, l’union charnelle, trouve son unique place légitime dans le cadre du mariage sacramentel, valide, entre un homme et une femme.

Le “pourquoi” théologique immédiat est que l’acte sexuel est un langage. C’est le “langage du corps”. Et ce langage exprime quelque chose de précis : le don total, permanent, exclusif et fécond d’une personne à une autre. Ce don total ne peut être dit en vérité que là où il existe réellement et a été scellé : dans l’alliance indissoluble du mariage !

Cet enseignement, aussi exigeant soit-il pour notre époque, trouve tout son sens dans la Bible ainsi que notre magnifique catéchisme :

  • Dans l’Écriture Sainte :
    • 1 Corinthiens 6, 18 : “Fuyez la fornication. Quelque autre péché que l’homme commette, il est extérieur à son corps ; mais le fornicateur pèche contre son propre corps.”
    • Hébreux 13, 4 : “Que le mariage soit honoré de tous, et le lit conjugal exempt de souillure, car Dieu jugera les fornicateurs et les adultères.”
    • Matthieu 19, 6 : “Ainsi donc, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer.” (Fondement de l’indissolubilité, cadre nécessaire au don total).
  • Dans le Catéchisme de l’Église Catholique (CEC) :
    • CEC 2353 : “La fornication est l’union charnelle en dehors du mariage entre un homme et une femme libres. Elle est gravement contraire à la dignité des personnes et de la sexualité humaine, naturellement ordonnée au bien des époux, ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants. En outre c’est un scandale grave quand il y a corruption des jeunes.”
    • CEC 2390 : “Concubinage, refus du mariage en tant que tel, incapacité à se lier par des engagements à long terme. Toutes ces situations offensent la dignité du mariage ; elles détruisent l’idée même de la famille ; elles affaiblissent le sens de la fidélité. Elles sont contraires à la loi morale : l’acte sexuel doit prendre place exclusivement dans le mariage ; en dehors de celui-ci, il constitue toujours un péché grave et exclut de la communion sacramentelle.”

1.2. La cohabitation et les relations pré-maritales : un “langage menteur”

À la lumière de la Théologie du Corps, les relations sexuelles avant ou en dehors du mariage (union libre, cohabitation) ne sont pas seulement la transgression d’une règle ; elles sont un “mensonge corporel.”

Lorsque deux personnes s’unissent charnellement sans être mariées, leur corps dit : “Je me donne à toi totalement et pour toujours”. Mais leur situation réelle c’est à dire l’absence d’un engagement public, sacramentel, indissoluble et total dit en fait : “Peut-être”, “Pour l’instant”, “Je garde une porte de sortie”, ou “Je te donne une partie de moi, mais pas encore tout”.

Il y a une contradiction fondamentale entre le langage de l’acte et la vérité de la relation. C’est ce que la Théologie du Corps appelle le “faux prophétisme” du corps. On utilise le geste du don total sans en assumer la pleine réalité. On prend le plaisir du don sans la responsabilité et l’engagement total du don. C’est pourquoi l’Église, par fidélité à la vérité de l’amour, ne peut bénir ces unions et demande aux fiancés de vivre la continence jusqu’au sacrement.

Continence : La continence est l’abstention de tout plaisir génital, orgastique ou non, volontairement provoqué (passage à l’acte sexuel, masturbation…).

Disposition vertueuse de celui qui maîtrise, contient ses désirs sensuels et sexuels. Cette abstention peut être soit provisoire, par exemple dans le cas d’un couple qui fait ce choix pour des raisons spirituelles, ou bien au contraire un choix permanent, par exemple dans la perspective d’un célibat consacré.

ENTRE DEUX PARTIES : QU’EST-CE QUE LA THÉOLOGIE DU CORPS ?

Avant de poursuivre notre exploration du projet de Dieu, il est utile de définir ce courant majeur. La Théologie du Corps est l’ensemble de 129 catéchèses données par le Pape Jean-Paul II entre 1979 et 1984.

En substance, la théologie pose une question fondamentale : quel est le sens de notre existence, du fait d’être homme ou femme, et de notre corps ?

Elle revient aux “commencements” (la Genèse) pour répondre. Elle enseigne que notre corps, dans sa masculinité et sa féminité, est fait pour le don désintéressé (l’amour). C’est ce qu’on appelle la “signification sponsale” (ou nuptiale) du corps : le corps est capable d’exprimer et d’accomplir la vocation au don qui est inscrite dans notre être le plus profond.

La théologie du corps est une anthropologie du don : elle montre que l’homme ne peut se réaliser pleinement qu’en se donnant, et que la sexualité est le lieu privilégié où ce don peut s’exprimer concrètement. C’est la lentille théologique à travers laquelle l’Église lit l’acte conjugal, la contraception, et la chasteté.


PARTIE 2 : LE PROJET ORIGINEL – POURQUOI DIEU A-T-IL CRÉÉ LA SEXUALITÉ ?

La Théologie du Corps nous ramène au jardin d’Éden pour y retrouver le plan parfait de l’amour. Dieu a créé la sexualité comme un chemin de bénédiction et pas comme une confusion.

2.1. L’homme créé pour le Don

Le fondement de toute l’anthropologie chrétienne prend sa source dans la Genèse : l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu qui est Amour (la Trinité). Cet appel à l’amour est inscrit dans notre corps même : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa; homme et femme, il les créa» (Genése 1 : 27). L’être humain, dans sa dualité et sa complémentarité, est ainsi appelé à refléter la communion divine.

Par conséquent, la vocation la plus profonde de la personne n’est pas de se posséder, mais de se donner. C’est ce que rappelle le Concile Vatican II dans cette formule essentielle qui résume tout le projet de Dieu :

« Quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que « tous soient un…, comme nous nous sommes un » (Jn 17, 21-22), il ouvre des perspectives inaccessibles à la raison et il nous suggère qu’il y a une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour. Cette ressemblance montre bien que l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même »

(Gaudium et Spes, 24)

Ce don de soi est une vocation spirituelle qui doit s’exprimer concrètement dans le corps. La sexualité est donc le lieu corporel par excellence où cette vocation au don désintéressé se manifeste.

2.2. La maturation de l’Amour

L’amour humain est un processus qui mûrit. Jean-Paul II a identifié quatre phases essentielles dans ce chemin vers le don total :

  • L’Amour Attrait : La première étape, purement sensorielle et émotionnelle. C’est l’émerveillement devant l’autre. “Je tombe amoureux.”
  • L’Amour Désir (Eros) : C’est le désir de l’autre comme un bien pour soi. C’est une force puissante et bonne, mais qui, si elle n’est pas maîtrisée, peut dégénérer en égoïsme (“Je te veux”).
  • L’Amour Don (Agapè) : C’est le dépassement de l’égoïsme. L’amour devient gratuit, il veut le bien de l’autre. “Je veux ton bien, je te veux heureux(se).”
  • L’Amour Sponsal : C’est la phase mature et totale. Il intègre tous les autres stades et les sublime. C’est l’amour qui dit : “Je te reçois et je me donne à toi pour le meilleur de nous deux.” C’est le don total qui demande l’engagement définitif.

2.3. La “Signification Sponsale (Nuptiale) du Corps”

Ceci est le concept clé de la Théologie du Corps. La signification sponsale signifie que notre corps, dans sa masculinité et sa féminité, porte en lui une vérité fondamentale : il est fait pour le mariage, pour le don de soi à l’autre.

Notre corps est capable d’exprimer et d’accomplir la vocation de la personne à s’unir à une autre dans l’amour. L’union sexuelle devient ainsi non pas seulement un moyen de plaisir, mais une icône. Elle est destinée à refléter, sur Terre, la communion d’amour des Personnes de la Trinité. Mais aussi de l’union du Christ avec son Église.

2.4. L’Homme “Chuté” : Le “Langage du Corps” devient difficile à lire

Si le projet originel est si beau, pourquoi l’homme peine-t-il tant à le vivre ?

La réponse se trouve dans la blessure du péché originel, qui a introduit la concupiscence. Ce n’est pas le corps qui est mauvais, mais le cœur qui est faible et divisé.

L’effet principal de la concupiscence sur la sexualité est de faire basculer le désir de l’amour-don (Agapè) vers l’amour-possession (un Eros déchu). On passe du désir de donner au désir de prendre et d’utiliser l’autre comme un objet de plaisir. Le “langage du corps” devient alors altéré :

  • C’est l’« adultère dans le cœur » dont parle Jésus (Matthieu 5, 28) : le regard qui ne voit plus une personne à aimer, mais un objet à utiliser pour son propre plaisir.
  • C’est le mensonge qui s’introduit dans le cœur avant même de se manifester dans l’acte.

PARTIE 3 : L’HOMME “RACHETÉ”

Le Christ n’est pas venu pour abolir la Loi, mais pour l’accomplir (Matthieu 5 : 17).

“Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes; je ne suis pas venu les abolir, mais les accomplir.”

Matthieu 5:17

Par son incarnation, sa passion et sa résurrection, il a racheté l’homme dans sa totalité, y compris son corps. Cela signifie que la blessure de la concupiscence, si elle n’est pas effacée, peut être surmontée par la grâce. La sexualité, désormais vécue dans le Christ, n’est plus un lieu de chute inéluctable, mais un chemin de sainteté.

3.1. Le “Prophétisme du Corps” : Dire la Vérité de l’Alliance

Le corps est un sacrement, c’est-à-dire un signe visible d’une réalité invisible. Le corps de l’époux et de l’épouse a été racheté pour être capable de dire la vérité du don total.

  • Le Don du Christ : L’acte conjugal est appelé à imiter l’amour du Christ pour son Église. Cet amour est l’Alliance éternelle, symbolisée par le Nouveau Testament. Saint Paul utilise l’union nuptiale pour décrire le mystère du Christ et de l’Église (Éphésien 5 : 32).

“Ce mystère est grand; je veux dire, par rapport au Christ et à l’Eglise.”

Éphésiens 5:32

  • Un Acte Prophétique : Lorsque les époux s’unissent, ils font plus que deux personnes qui s’aiment ; ils rejouent, par leur corps, l’acte de l’Alliance Rédemptrice. L’acte sexuel est prophétique car il anticipe, sur terre, la communion totale du Ciel. Il proclame la vérité de l’amour de Dieu : inconditionnel, total, fécond.
  • La Grâce du Sacrement : Le sacrement du Mariage donne aux époux la grâce de vouloir aimer. Non pas avec leurs seules forces, mais avec l’amour même du Christ, pour que leur don soit libre, total, fidèle et fécond.

3.2. Les 4 Caractéristiques de l’Amour Vrai (du Langage du Corps)

Pour que l’acte conjugal soit véritablement prophétique et non mensonger, le langage du corps doit remplir quatre conditions, qui sont les piliers de l’Alliance que le Christ a scellée avec nous.

L’Église synthétise les propriétés de l’amour conjugal dans ce qu’on appelle les “quatre piliers” ou caractéristiques :

  1. Libre : L’acte doit être l’expression d’un choix, et non pas d’une contrainte, d’une manipulation ou d’un devoir forcé.
  2. Total : C’est la condition la plus exigeante. Le don est sans retenu. Je te donne tout ce que je suis : mon corps, mon âme, mon esprit, mon présent, mon avenir… et ma fertilité. Retenir volontairement une partie de soi (comme la capacité à donner la vie, intentionnellement écartée) est une brisure de ce don total.
  3. Fidèle : Le don est exclusif et permanent. Je me donne à toi seul et ce don est pour toujours (indissoluble). Cette fidélité protège l’acte de la trahison et de la fragilité.
  4. Fécond : L’amour est par nature créateur. L’amour conjugal est ouvert à la vie, à l’image de Dieu Créateur. Cette fécondité peut être celle de l’enfant (biologique) ou une fécondité spirituelle, mais l’acte lui-même ne doit jamais être intentionnellement stérile. Il porte en lui une promesse de vie.

C’est sur la base de ces quatre piliers que l’Église analyse tous les défis de la sexualité contemporaine. Les actes que l’Église interdit ne le sont pas par pur moralisme, mais parce qu’ils viennent contredire (mentir) sur une ou plusieurs de ces caractéristiques.


Nous avons posé le fondement lumineux du projet de Dieu : la sexualité n’est pas une pulsion chaotique, mais un “langage du corps” sacré, destiné à exprimer le don libre, total, fidèle et fécond. Nous avons vu la beauté de la “signification sponsale” du corps, racheté par le Christ pour aimer en vérité.

Mais ce plan magnifique se heurte à notre faiblesse et à la confusion du monde. Si l’acte conjugal est un “prophétisme du corps“, il existe aussi des “faux prophètes“, des actes qui mentent et dénaturent ce don.

Comment discerner ces “mensonges corporels” ? Comment vivre concrètement la vertu (la chasteté) qui protège cet amour ? Et quelle espérance avons-nous lorsque nous tombons ?

C’est ce que nous explorerons dans la deuxième partie : La sexualité : entre exigence et miséricorde.

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