La paresse, en tant que phénomène moral et spirituel, a été étudiée depuis l’Antiquité comme une tendance humaine universelle, mais aussi comme un vice aux conséquences profondes. Nous analysons ici trois dimensions : la paresse, l’oisiveté, et l’acedia (paresse spirituelle). Ces concepts, explorés par des théologiens comme saint Thomas d’Aquin, Cassien, et saint Jean Climaque, montrent que ce n’est pas qu’une question de physique, mais aussi de morale et de vie spirituelle.
L’objectif de cet article est d’analyser ces trois formes de paresse, leurs causes, leurs conséquences, et les remèdes proposés par la tradition chrétienne. Nous nous appuierons sur les textes patristiques, la bible, ainsi que sur les réflexions des moralistes, pour offrir une synthèse rigoureuse et structurée.
I. La Paresse
1. Définition
La paresse, est définie d’après le Larousse comme un « comportement de quelqu’un qui répugne à l’effort, au travail, à l’activité ; goût pour l’oisiveté ». Elle se caractérise par une fuite systématique de l’effort, une lenteur dans l’exécution des tâches, et une préférence pour le moindre engagement. Comme le souligne Saint Thomas d’Aquin dans sa somme théologique , le paresseux reste volontiers oisif ; ou, s’il agit, sa tendance se trahit dans la manière dont il le fait : il choisit son occupation selon le caprice du moment, s’y met avec lenteur, et a hâte d’en finir.
Cette paresse peut se manifester dans tous les domaines de la vie : physique, intellectuel, moral, et même religieux. Cependant, il est essentiel de distinguer la paresse morale de la paresse pathologique, cette dernière étant parfois liée à des troubles physiologiques ou psychologiques (fatigue, anémie, épuisement nerveux). Dans la mesure où la paresse est due à des dispositions morbides, elle n’est pas un péché, mais une maladie qui relève du médecin.
2. La Paresse comme Péché
a. Nature du Péché
La paresse, en tant que vice moral, n’est opposée directement à aucune vertu en particulier ; elle s’oppose, au contraire, en général à toute vertu dont l’exercice répugne à cause de sa difficulté. Elle est donc une source de fautes d’espèces très diverses. Cicéron la définissait déjà comme « la crainte de la fatigue » (Tusculanes, I. 4, c. 8, n. 12), tandis que saint Thomas d’Aquin précise que « cum aliquis rejugit operari propter timorem excedentis laboris (lorsque quelqu’un fuit l’action par crainte d’un travail trop pénible) » (Somme Théologique, Iª-IIæ, q.41, a. 4).
La paresse est également liée à la sensualité, car le paresseux se laisse conduire par un amour exagéré de ses aises et de son repos, c’est-à-dire en somme par le plaisir, qu’il préfère au devoir.
b. Gravité du Péché
La gravité du péché de paresse se mesure à celle des devoirs que la paresse fait omettre ou négliger. Elle est grave toutes les fois qu’il y a omission ou grave négligence d’un devoir très important, mais légère quand la négligence est minime. Elle devient grave cependant si elle est habituelle et profonde, car « tout arbre qui ne produira pas de bons fruits sera jeté au feu éternel » (Matth., 7, 19).
c. Remèdes à la Paresse
Les Livres sapientiaux, proposent des explications et des remèdes concrets :

Le paresseux n’entretient pas sa maison et elle tombe en ruine (Prov., 24, 31) ; son champ est couvert de ronces et d’épines (Prov., 24, 31) ; il ne laboure pas en hiver et ne récolte rien au temps de la moisson (Prov., 20, 4).
Il s’invente des prétextes pour fuir l’effort : « Il y a un lion dehors, je serai tué dans les rues » (Prov., 22, 13) ; il désire sans rien obtenir, tandis que l’âme des diligents est comblée (Prov., 13, 4).
Le sommeil, le retard et la négligence le mènent à la pauvreté : « Un peu de sommeil, un peu d’assoupissement, un peu croiser les mains pour dormir, et la misère viendra comme un rôdeur » (Prov., 6, 10-11).
Les Proverbes proposent pour remède l’exemple de la fourmi, humble et sage, qui sans chef ni surveillant prépare en été sa nourriture et amasse sa récolte au temps voulu (Prov., 6, 6-8).
Ils louent la main diligente : « La main des actifs dominera, mais la main paresseuse sera tributaire » (Prov., 12, 24), et rappellent que « les projets de l’homme diligent mènent à l’abondance » (Prov., 21, 5).
Il sera bon, selon la sagesse biblique, de proposer des occupations simples et utiles, qui permettront au paresseux d’exercer peu à peu son activité et de reprendre goût au travail.
II. L’Oisiveté : Conséquence et Danger de la Paresse
L’oisiveté, définie comme « État de quelqu’un qui vit sans travailler et sans avoir d’occupation permanente», est une conséquence directe de la paresse. Chez l’oisif, quand l’intelligence et la volonté restent passives, les instincts naturels prennent le dessus : l’imagination et les émotions entraînent à la rêverie, suscitent des pensées troubles et éveillent des désirs mauvais, menant facilement aux pires excès.

« Le champ du paresseux est plein de ronces et d’épines (Prov., 24, 30-31) », l’oisiveté est considérée comme la mère de tous les vices, d’abord par l’influence chrétienne dans la société mais aussi de la compréhension tirée des théologiens. Sans doute, l’activité humaine ne saurait être toujours intense : il nous faut des moments de détente et de repos. Mais, sauf lorsqu’il s’agit du sommeil, le repos ne doit pas être de l’inaction.
III. L’Acedie : La Paresse Spirituelle
1. Définition
L’acedia, ou « tristitia de bono spirituali », est un dégoût des choses de Dieu, une lassitude envers les exercices de piété et la vie spirituelle. Cassien l’a définie comme «lædium et anxietas cordis, quæ infestat anachoretas et vagos in solitudine monachos ( lassitude et l’inquiétude du cœur, qui tourmentent les anachorètes et les moines errants dans la solitude.) ». Guigues le Chartreux, au XIe siècle, la décrit comme « une sorte d’inertie, de langueur d’esprit, d’ennui de cœur », où « tu es à charge à toi-même ; ces grâces intérieures, dont tu usais d’habitude si joyeusement, n’ont plus pour toi aucune suavité ».
2. L’Acedie comme Péché
a. Nature du Péché

« Une tristesse déprimante est toujours mauvaise, soit en elle-même, soit dans ses effets » (Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Iª-IIæ, q. 35, a. 1). se caractérise comme une tristesse relative au bien divin, non pas une simple mélancolie, mais une résistance active à la joie que devrait procurer la vie spirituelle. Elle est mauvaise en elle-même quand elle est causée par le dégoût d’un bien qui devrait réjouir, comme lorsque le moine méprise la prière ou le fidèle néglige les sacrements par lassitude, commettant ainsi un péché contre la charité, car quiconque possède une vertu doit s’en réjouir comme d’un bien qui lui appartient ; s’en attrister, c’est pécher contre cette vertu.
En cela, l’acédie est un péché contre la charité, car elle refuse de se réjouir du bien divin et préfère les plaisirs terrestres ou l’inaction. Envisagée sous cet aspect, elle se confond avec la sensualité, car elle fuit l’effort spirituel par amour du repos ou par crainte de la fatigue, préférant le plaisir immédiat à l’exigence de la vie spirituelle (jeûne, prière, ascèse). Ainsi, l’acédieux, en choisissant la facilité, « méprise les biens divins » et s’oppose à la loi de l’amour de Dieu.
b. Gravité du Péché
L’acédie est un péché mortel « secundum genus suum (selon son genre) ». Elle n’est péché mortel que si la raison consent à fuir et à détester le bien divin. Elle est grave aussi par ses conséquences : elle fait tomber dans l’oisiveté et expose à tous les dangers que celle-ci entraîne ; elle conduit au relâchement et à la tiédeur, prélude de la ruine spirituelle.
c. L’Acedie comme Péché Capital
L’acédie est un péché capital et, selon saint Jean Climaque, un des plus graves, car les autres « énervent chacun une vertu, tandis que celui-ci dissipe le trésor de toutes les vertus ». Saint Grégoire le Grand fait dériver [de l’acédie] six autres péchés : « malitia, rancor, pusillanimitas, desperatio, torpor circa præcepta, evagatio mentis circa illicita (la malice, la rancune, la pusillanimité, le désespoir, la torpeur à l’égard des commandements, et l’égarement de l’esprit vers les choses défendues.)»(Moralia, I. 31, c. 45).
3. Remèdes à l’Acedie
Penser à la mort et aux biens futurs éveille l’espérance et donne courage ; se souvenir de ses péchés aide à supporter les peines qui sont de nature à les expier ; faire en confession l’aveu de la tentation est un moyen de la calmer. Il importe surtout de tenir ferme et d’agir : tenir ferme en ne changeant ni d’état de vie, ni de couvent, ni de dessein ; agir par la lecture, la psalmodie, le travail manuel, la prière, les bonnes œuvres de tout genre.

Le diable, dit Alcuin, « tente plus difficilement celui qui n’est jamais oisif ». Cassien préconise la résistance plutôt que la fuite : « Experimento probatum est acediæ impugnationem non declinando fugiendam sed resistando superandam (L’expérience a montré que l’attaque de l’acédie ne doit pas être évitée en fuyant, mais surmontée en y résistant.) » (De Institutis Coenobiorum, I. 11).
Conclusion
Il y a en tout homme des germes de paresse, car l’effort coûte à la nature ; le vrai paresseux est celui qui les laisse se développer en lui-même et porter leurs fruits. La paresse, sous ses formes variées, représente un défi constant pour l’équilibre moral et spirituel de l’individu. Les remèdes proposés par les théologiens : l’action persévérante, la prière, la méditation sur les biens futurs, et la résistance active — offrent des voies concrètes pour surmonter ces vices.

La paresse, qui porte à se soustraire à la loi du travail, est donc mauvaise conseillère, et le paresseux, quand il cède à ses inspirations, commet un péché de désobéissance. En combattant la paresse, l’oisiveté et l’acédie, l’homme se rapproche de la plénitude de son être, tant sur le plan humain que spirituel.